Ce sont les mots de Sylvain Tesson qui m'ont accompagnée pour le début de ce premier voyage en solo, la grande aventure !


"La marche fait affleurer à la surface de la mémoire les strates de souvenirs rangées dans la boîte en os du crâne, cette caisse d'archives, le plus précieux bagage du voyageur. On fouille, on trie ; un éclair soudain et l'on se souvient d'un moment drôle presque oublié et l'on éclate de rire. Un passant nous prendrait pour un fou car il ne saurait pas que rien ne vaut de passer un bon moment avec soi-même, à parcourir les rayonnages de sa bibliothèque intérieure.

[...]

Quand l'heure n'est pas aux souvenirs, il suffit de tourner les yeux vers l'extérieur. Dans la plus aride des steppes, les contemplateurs trouveront toujours à s'émerveiller.

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Sur la route uniforme, lorsque ni le souvenir, ni la contemplation ne se portent au secours de l'errant, celui-ci a toujours la ressource de se replier dans ses rêves. Combien de vagabonds, égarés dans les landes, ont-ils avancé en traînant autour d'eux des lambeaux de visions, rêvant comme ils respirent. L'uniformité des lieux désolés incite à s'envoler vers les 'Incroyables Florides' de l'imagination. L'état de légère inanition dans lequel on se trouve à la fin d'une étape forcée colore les rêves de teintes fantastiques. On échafaude des voyages futurs. Combien des mes expéditions sont-elles nées chemin faisant ? Vivre, c'est faire de son rêve un souvenir.

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Sur la piste, pour combattre le vide, il y a la poésie ! Le vagabond peut réciter des vers inépuisablement. La poésie remplit les heures creuses. Elle entretient l'esprit et gonfle l'âme. Elle est un rythme mis en musique. Les vers scandent la marche et peuvent être accordés à l'atmosphère [...].

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Je passe sous silence la prière qui aide aussi le voyageur à meubler les lentes heures. Elle agit comme un dérivatif pour les nerfs les plus aiguisés.

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Prière, observation, contemplation, récitation, souvenir : stratagèmes de marcheur au long cours pour échapper à l'angoisse de se sentir une tête d'épingles perdue dans la morne immensité du monde."


Petit traité sur l'immensité du monde,

Sylvain Tesson