Partout, j'ai vu des gens prendre la pose le temps d'un autoportrait, sans prendre le temps de regarder le décor devant lequel iels posaient.

J'ai vu de jeunes russes, dans la salle commune d'une auberge de jeunesse, les yeux rivés sur leurs petits écrans individuels.

J'ai vu des écouteurs Bluetooth devenir des bouchons d'oreilles : en famille à la gare, entre ami.e.s au café, isolé.e.s du bruit, isolé.e.s du monde.

J'ai vu un jeune militaire passant plus de temps à configurer son nouveau smartphone qu'à dire au revoir à ses proches qu'il semblait quitter pour un moment.

J'ai vu une amoureuse vérifier que son maquillage ne coulait pas, en miroir dans son smartphone, alors que son militaire de copain s’apprêtait à partir pour longtemps.

J'ai vu un réceptionniste d'auberge à Krasnoïarsk ne pas lever les yeux de son smartphone pour dire bonjour aux client.e.s.

J'ai vu des visiteur.euse.s au génial musée d'art digital TeamLab de Tokyo passer plus de temps à filmer qu'à regarder avec leurs simples yeux.

J'ai vu une petite fille de moins de 2 ans insensible aux baisers de sa maman, trop occupée à regarder la vidéo sur le smartphone qu'on lui avait mis dans les mains.


J'ai souvent préféré essayer de me repérer avec la carte d'une application de mon smartphone plutôt que d'utiliser la géolocalisation et le GPS, même si ça prenait plus de temps pour arriver à destination.

Mais je n'étais pas sereine lorsque je peinais à recharger mon téléphone dans les coins perdus de Mongolie.

J'ai trouvé si pratique de pouvoir tenir mon blog de voyage depuis un smartphone.

Mais j'ai passé tellement de temps sur cet écran, qu'à certains moments j'en ai eu mal aux yeux.

J'ai trouvé réconfortant, et parfois déstabilisant, la facilité avec laquelle j'ai pu me sentir si proche de mes proches grâce à ce téléphone.


J'ai relu le texte de mon frangin Jules, écrit en voyage et intitulé "Le syndrome du smartphone". Plusieurs fois.


Je serais curieuse d'essayer un prochain voyage sans smartphone. 


J'ai aimé les mots de Sylvain Tesson dans Sur les chemins noirs :

"Entre moi et le monde il n'y avait que l'air tiède, quelques rafales, des herbes échevelées, l'ombre d'une bête. Et pas d'écran ! Aucune information, pas d'amertume, pas de colère. Ma stratégie du retrait distillait sa jouvence dans mes fibres.

Aller par les chemins noirs, chercher des clairières derrière les ronces était le moyen d'échapper au dispositif. Un embrigadement pernicieux était à l’œuvre dans ma vie citadine : une surveillance moite, un enrégimentement accepté par paresse. Les nouvelles technologies envahissaient les champs de mon existence, bien que je m'en défendisse. Il ne fallait pas se leurrer, elles n'étaient pas de simples innovations destinées à simplifier la vie. Elles en étaient le substitut. Elles n'offraient pas un aimable éventail d'innovations, elles modifiaient notre présence sur cette Terre. Il était "ingénu de penser qu'on pouvait les utiliser avec justesse" écrivait le philosophe italien Giorgio Agamben dans un petit manifeste de dégoût. Elles remodelaient la psyché humaine. Elles s'en prenaient aux comportement. Déjà, elles régentaient la langue, injectaient leurs bêtabloquants dans la pensée. Ces machines avaient leur vie propre. Elles représentaient pour l'humanité une révolution aussi importante que la naissance de notre néocortex il y a quatre millions d'années. Amélioraient-elles l'espèce ? Nous rendaient-elles plus libres et plus aimables ? La vie avait-elle plus de grâce depuis qu'elle transitait par les écrans ? Cela n'était pas sûr. Il était même possible que nous soyons en train de perdre notre pouvoir sur nos existences. Agamben encore : nous devenions "le corps social le plus docile et le plus soumis qui soit jamais apparu dans l'histoire de l'humanité". Partir sur les chemins noirs signifiait ouvrir une brèche dans le rempart. N'ayant en moi ni la violence du saboteur, ni le narcissisme de l'agitateur, je préférais la fuite. Assis sur l'herbe dans la volute d'un cigarillo, je disposais au moins du pouvoir d'oublier les écrans et de m'hypnotiser plutôt du vol des vautours par-dessus les ancolies."


Et ici...

Dennis tient son téléphone du bout de ses doigts lorsqu'il s'en sert. Il sait où sont situées les antennes et veille à le tenir du côté opposé. Il ne l'approche jamais de sa tête et utilise toujours la fonction haut-parleur lorsqu'il passe un appel. D'ailleurs, il ne l'utilise que très peu durant la journée, et le reste du temps le téléphone est coupé. Il ne l'allume que quand il en a besoin.

Quand son fils vient passer du temps chez lui : il ne lui laisse que 20 minutes par jour car c'est inscrit dans le manuel d'utilisation qu'au delà, c'est dangereux.

Les discussions avec lui m'ont menée à signer cette pétition contre l'installation de la technologie 5G en France, et à me questionner sur la technologie WIFI, classée dangereuse par l'OMS, bien plus que le tabac ou l'alcool.


Je serais curieuse d'essayer une prochaine vie sans smartphone.