Санкт-Петербург (Saint-Pétersbourg) - Московский вокзал (Gare de Moscou), 0h52. Une fois le contrôle de sécurité passé, je me dirige vers l'imposant tableau d'affichage pour vérifier le quai. Pas encore affiché. J'ai le temps de partager un moment au café avec Сергей (Sergueï), qui m'accompagne depuis l'auberge, intrigué de me voir partir seule avec ce gros sac à dos, à pied et sous la pluie.


Quelques minutes après, sur le quai n°7, je tends mon passeport au проводник (provodnik : chef de wagon). Il me parle en russe, je lui rétorque mon traditionnel "do you speak English ?". Il me répond en russe, je prends ça pour un "non". Sergueï joue le rôle d'interprète, il me demande si j'ai réservé du linge de lit. Je lui dis que non - je n'allais quand même pas payer en plus, j'ai mon draps de soie que m'a donné ma maman.


On entre dans le wagon n°13. Je passe devant le fameux samovar (la réserve d'eau chaude), permettant de se faire un thé à tout moment du jour et de la nuit. Puis je me dirige vers la couchette que j'ai pris soin de choisir, la n°21. Sur le site de la РЖД (les chemins de fer russes), on choisit exactement où on souhaite dormir. Je me suis dit que j'allais essayer une couchette en bas pour commencer, sans trop savoir si c'était mieux qu'en haut, placée dans le renfoncement, pas dans le couloir même. Et la 21, elle sonnait plutôt pas mal.

Je vois des gens déjà allongés sur leur couchette et sur d'autres encore inoccupées : des draps, couvertures et oreillers qui me regardent avec tendresse, de tout leur moelleux. Et sur la mienne, rien. Hm. Évidemment que j'ai besoin de linge de lit. Sergueï va s'en procurer auprès du provodnik, ça lui coûte 145 roubles, soit 2 euros. Il refusera que je les lui rembourse ; les russes sont excessivement galants, tant pis pour eux. Je retiens qu'à l'avenir je n'hésiterai plus à cocher la case "draps de lit" en réservant mon billet de train.


Mon voisin d'en face parle anglais. Il s'appelle Daniel et il est Moldave. Il fait de la moto et me montre quelques photos de son dernier voyage dans les méandres des cols alpins. Daniel habite Moscou, il a décidé de faire l'aller-retour à Saint-Pétersbourg pour y fêter son anniversaire. L'autre voisin, au-dessus de Daniel, me dit qu'il aimerait beaucoup emmener son amoureuse à Paris, mais qu'il ne maîtrise pas assez le français. Aucun des deux n'a déjà mis les pieds à Vladivostok, l'Europe est bien plus proche.

Daniel m'assure que les gens seront contents quand je leur dirai que je viens d'Europe, qu'ils seront accueillants. Ce qui n'a pas toujours été le cas lorsque lui était en Europe, sur le dos de sa moto. Il me prévient aussi qu'il sera de plus en plus difficile de trouver des gens qui parlent anglais dans les petites villes. Je commence à y croire...


Je n'y pense plus pour l'instant. Je suis excitée ! Mon premier train de nuit en Russie ! Je retrouve déjà les détails décrits dans les récits de voyage dévorés avant de partir. Que c'est bon.

Argh. Cette odeur ! Daniel a enlevé ses chaussures. L'horreur. Bon, il fallait s'y attendre, à 40 dans le même wagon...

Ah, les lumières s'éteignent. "It's time to sleep" me dit Daniel.

Je n'ai pas envie de dormir. Je regarde le paysage de nuit défiler un moment.

Il est 3h, je décide raisonnablement de fermer les yeux. Trop tard. Daniel ronfle comme une locomotive, infernal. Je n'ai pas de bouchons d'oreilles à portée de main - erreur de débutante. Je trouve mes écouteurs et lance Thylacine à fond, ses morceaux composés sur le Transsibérien. L'album se termine. Je remarque une accalmie, j'en profite pour m'endormir.


Voila que je me réveille déjà, j'ai beaucoup trop chaud. ma deuxième erreur : je suis bien trop couverte. Il est 4h05 et les ronflements résonnent à nouveau. C'est parti pour l'album de Thylacine une seconde fois. J'en profite pour regarder l'extérieur. A travers la fenêtre en face de moi je vois les bouleaux défiler à la lueur des faibles lumières du train. C'est beau !

J'essaye de me rendormir. Je dois y parvenir puisqu'il est maintenant 5h27. Ensuite, je n'y arriverai plus. J'abandonne et écoute des podcasts en regardant défiler le paysage et les heures.

5h48.

6h15.

Le ciel commence à s'éclaircir. Daniel se lève. Ah, l'odeur s'intensifie. Il revient et se remet à ronfler presque instantanément. C'est impressionnant.

6h59.

Le réveil de mon voisin du dessus sonne. Un rappel oublié pour une journée de travail qui aurait pu commencer. L'autre voisin du haut n'a pas dormi non plus je crois, il semble écrire un roman depuis le temps qu'il tapote sur son téléphone.

Je me redresse pour contempler à nouveau le spectacle du paysage défilant à travers la fenêtre. Des bouleaux ! Je continue inlassablement d'écouter des podcasts, tous plus intéressants les uns que les autres.

Il est à peine 8h et je me sens partir. Je saisis l'occasion et m'allonge.

9h51.

Yes, j'ai dormi ! Le ciel que j'aperçois par la fenêtre d'en face est blanc, teinté de nuances bleues. On le croirait peint à la main. Splendide.

Le wagon est très silencieux. Je ne savais pas qu'on parlait de grasse matinée à bord d'un train couchette. Seuls quelques passagers se levant pour aller aux toilettes et mon voisin du dessus qui doit être en train de petit-déjeuner brisent ce silence surprenant. Tiens, Daniel ne ronfle plus.

Le train s'arrête pour la troisième fois sur mes phases éveillées. Les fois précédentes, c'était pour qu'un autre train nous dépasse à toute allure. J'ai sursauté les deux fois. Là, rien. On est arrêtés depuis un bon moment.

Quelques passagers passent avec leur brosse à dents et leur petite serviette fournie avec le linge de lit. Le wagon s'éveille. Le son des voix et des affaires qu'on replie augmente doucement.

Je distingue maintenant quelques изба (isbas) et, au loin, des bâtiments plus imposants. On doit se rapprocher de Moscou, ou au moins de sa banlieue. Il est 10h56, l'arrivée est prévue pour dans une heure.

On perçoit à nouveau les ronflements de Daniel. Je perçois surtout l'odeur de ses chaussures. Mais qu'importe, le sourire ne me quitte pas !

Je m'apprête à ouvrir le sachet de mon croissant au chocolat (on se fait vite aux curiosités culinaires d'un nouveau pays), que j'ai pris soin d'acheter hier. Le petit-déjeuner, c'est sacré !

11h46.

Nous serons dans quelques minutes à quai à la gare de Moscou, celle de Moscou. Tout le monde est réveillé maintenant, et aux odeurs de corps matinaux se mêlent des odeurs de nourriture.


Je viens de faire le trajet qui précède souvent le Transsibérien, une sorte d'échauffement. Il me reste quelques ajustements à faire, en termes d'organisation. Mandela disait : "Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j'apprends.". J'ai appris et j'ai déjà hâte d'y retourner !


Train 169BA en provenance de Saint-Pétersbourg. Arrivée à Moscou (Leningradski Vokzal) à 11h52.

Chez mes hôtes !