Lorsque je me retrouve sur le quai de la gare d'Oulan-Oudé, à marcher au milieu des russes, le long de cet immense train gris et rouge... Quelle joie ! Comme un retour à la maison, un endroit familier.

Mumu est avec moi. Nous sommes arrivées à Oulan-Oudé ce matin, et elle découvre la Russie. J'ai joué à la guide : culture, ville et langue ; j'ai aimé lui raconter ce que je savais. 

Une fois à bord, on trouve nos places et on lâche nos affaires. Nous savourons le confort de se poser un peu. Les dernières journées ont été éprouvantes. Assises au bout des couchettes de nos voisines, on échange quelques mots avec elles, jusqu'à ce que mon russe s'épuise. Puis on clôture les comptes communs, signe de la fin d'une aventure commune mongole.

Un peu plus tard, c'est autour de la petite table libre d'à côté que l'on fait la connaissance du jeune Саид (Saïd). Je le reconnais, c'est l'enfant qui faisait des aller-retour au pas de course sur le quai tout à l'heure, sans doute pour se défouler un peu. Il est très souriant, fait des acrobaties dans le couloir et c'est le premier russophone avec lequel je tiens une petite conversation. Je suis fière ! 

Saïd fait l'intermédiaire entre son grand frère et Mumu, il essaye d'obtenir un numéro de téléphone. Ça nous amuse un peu, puis nous passons à autre chose lorsqu'on aperçoit le Baïkal par la fenêtre d'en face. On se trouve vite un endroit pour l'admirer, sur une couchette libre, le nez presque collé à la fenêtre. La couchette du dessus est libre elle aussi, je m'y allonge à plat ventre et contemple grand-père Baïkal. Recouvert d'un épais manteau neigeux, comme il a changé depuis quelques mois ! Il est toujours aussi resplendissant, si grand. Bercées par la contemplation de ce paysage unique, nos yeux se ferment doucement.

On regagne nos couchettes pour s'accorder une petite sieste jusqu'à l'heure du dîner. Étant prise d'un mal de tête, je ne tarderai pas à retourner m'allonger. Mumu m'accompagne et nous prolongeons le plaisir de se raconter des morceaux de vies jusqu'à l'heure des au revoirs, à Irkoutsk. Elle débute sa découverte de la Sibérie pendant que je m'endors dans la chaleur étouffante du wagon.

À mon réveil, je suis débarrassée de ce mal de tête. J'ai si bien dormi que je traîne un moment dans mon lit, accompagnée des paroles militantes d'Aïssa Maïga au micro du podcast La Poudre.

Je descends pour le petit-déjeuner et Saïd vient rapidement me tenir compagnie. Il me pose une série de questions en anglais, à l'aide d'une feuille sur laquelle on lui a écrit quelques traductions. Je lui réponds en russe autant que je peux. J'apprends enfin à dire mon âge, lui m'apprend qu'il a 7 ans. 

Une fois cet amusant interrogatoire passé, je me plonge dans la contemplation de ces forêts de bouleaux, comme si cela m'avait manqué. Je prends aussi un peu de temps pour me raconter dans mon journal de voyage. Il y a beaucoup à raconter sur les derniers jours, et j'aime noter les émotions qui m'ont accompagnée. 

Durant mon déjeuner, c'est Nuriddin que j'ai l'occasion de rencontrer. C'est l'ami du grand frère de Saïd. On parle du PSG, de Monaco et de Zinedine Zidane. Il vient du Tadjikistan et je crois qu'il aime bien le football.

Épuisée par cette conversation sportive, je ne tarde pas à remonter sur ma couchette et à mettre mon cerveau au sport avec quelques grilles de sudoku. Cela intrigue Saïd qui se met à faire des acrobaties à ma hauteur et à grimper tout en haut, à l'étage des bagages. Ça m'amuse, les deux dames d'en bas aussi. Il les rejoint et fait connaissance avec elle. Éclats de rire lorsque qu'un paquet tombe et qu'il dit "я думаю Лола упала !" (je croyais que Lola était tombée !). Puis c'est l'heure de l'arrêt à Krasnoïarsk, je dis au revoir aux dames d'en bas et profite de ces 45 minutes d'arrêt pour me connecter à internet. J'envoie quelques messages et passe tout le reste du temps sur les sites des ambassades pour connaître la situation dans les pays voisins et à leurs frontières. 

Le train redémarre et la connexion s'éloigne en même temps que la ville et ses antennes. Je laisse mes nombreux questionnements s'éloigner aussi, ils auront bien le temps de me rattraper à la prochaine ville. Un peu de musique dans les oreilles et quelques bouleaux sous les yeux. Ils brillent avec la lumière du soleil couchant. C'est beau.

Quelques temps plus tard, je descends pour dîner. J'ai à peine le temps de constater qu'il n'y a aucune place assise de libre qu'un passager me laisse la sienne lorsque je reviens du samovar avec mon bol de soupe. Le voisin du coin m'offre aussitôt un muffin fait maison et derrière, j'aperçois le voisin du dessous se décaler pour me laisser un bout de table. Ah, les voyages en train russe !

À chaque pause de notre progression vers l'ouest, les questions reviennent. Mon téléphone est avec moi, je profite maintenant de tous les arrêts, même ceux de 2 minutes pour me reconnecter et chercher quelques infos pouvant m'aider à décider de la suite du voyage. Ce n'est pas le trajet le plus déconnecté que j'ai fait.

Puis Nuriddin me rejoint. On discute un peu et ça attise la curiosité d'autres. Je demande à l'un où il habite mais le nom de sa ville ne me dit rien. Je sors ma carte du monde et peu de temps après, chacun pointe du doigt le lieu où il habite, d'où il vient, où il va, etc. 

Nuriddin veut voir mes photos du Japon. Le voisin, lui, me montre des photos de sa fille et de leur séjour au lac Baïkal. Je me souviens et je le rends fier en lui disant "отчень краснва" (très belle). On me montre ensuite quelques photos du Tadjikistan et Nuriddin me dit d'y venir l'année prochaine. Je lui dis que je pourrai venir quand il n'y aura plus cette histoire de virus. Tiens, ça faisait longtemps que je n'y avais plus pensé. 

Je suis réveillée le lendemain par les bruits des passagers s'affairant à rassembler leurs affaires. Nous arrivons à Novossibirsk et beaucoup de monde descend ici. Je dis au revoir à Nuriddin et regarde l'heure. Il est à peine 6h du matin, j'ai encore sommeil, mais je vais profiter de ce long arrêt pour me mettre à jour sur la situation des pays où je rêve encore d'aller. Ce n'est pas très positif. Ça sent doucement la fin du voyage en Asie, voire la fin du voyage tout court.

Le wagon est presque vide désormais. Une grand-mère et sa petite fille sont montées pour la fin du trajet. Nous échangeons quelques sourires lorsque je descends prendre mon petit déjeuner, puis je profite de la place sur la table pour écrire un peu. Dans mon journal d'abord, puis dans un autre cahier, je reporte les quelques mots de mongols encore dans ma mémoire. Je réalise que j'ai quitté la Mongolie en ayant vu si peu de cet immense pays. Ce peu m'a donné envie de plus, je reviendrai !

Après avoir pris le temps de me faire une toilette, aucun arrêt en auberge n'étant prévu pour les prochains jours, je me replonge dans mes pensées. Je cherche ce que je pourrais faire si je rentrais en France maintenant. Je cherche une motivation et ce n'est pas évident, surtout qu'on y parle de confinement.

Sur les derniers kilomètres, j'écoute ma playlist de musiques qui m'ont accompagnées depuis le début du voyage, chacune me renvoie à un moment très précis et me rappelle le chemin parcouru. Peu importe ce que je déciderai en descendant de ce train, j'ai tellement avancé que rien ne pourra me faire revenir en arrière.