La journée commence par un peu d'attente à la gare de Tomsk. J'aurais pu me balader quelques heures de plus dans cette ville universitaire, mais avec mon gros sac sur le dos, je n'en ai ni le courage, ni l'envie aujourd'hui.

Je monte en fin d'après-midi dans un электри́чка (elektrichka, train de courte durée) qui doit me ramener dans une gare de la ligne du Transsibérien. J'observe la neige, éclairée par la lumière des étincelles qui courent le long du câble du train. C'est bruyant et les banquettes sont en bois. On est loin du ronronnement tranquille des trains de nuit, qui m'ont bercée jusque là. Ça change !


J'arrive en gare de Taïga, où quelques heures de patience m'attendent à nouveau. Ne voyant pas mon train sur le panneau d'affichage, je me donne comme première mission de vérifier que je suis dans la bonne gare. L'hôtesse à qui je m'adresse est adorable et fait son possible pour m'aider, elle est rapidement aidée par un autre passager, qui sera mon interprète. Il me dit qu'il prend le même train que moi et que je ne dois pas hésiter à le trouver si j'ai à nouveau besoin de son aide.

Ces échanges ne sont pas grand chose, mais aujourd'hui ils sont très appréciables. Les mots du grand frère prennent alors tout leur sens : "il n'y a pas de petite rencontre, parfois un sourire sincère ou un bonjour font du bien quand on est seule !".


Je m'installe ensuite sur un de ces bancs de gare, prête à regarder le spectacle des gens pendant un petit moment. 

Arrive alors un groupe de jeunes militaires. Ils ont tous la même tenue, tous le même sac. Je reconnais les cartons contenant leurs paniers repas. Ils doivent partir pour leur service militaire. Je demande à ma voisine de banc, elle me dit que ce sont des étudiants en école d'officiers. J'imagine qu'ils partent pour un bout de temps quand même. Les familles sont là, les petites copines aussi. On leur offre des cadeaux, on se fait des câlins, on se prend en photo.

Même les potes sont là pour dire au revoir. Famille et ami.e.s me manquent, aujourd'hui un peu plus que les autres jours, et en voyant les regards des parents, des petites sœurs, je suis émue !


"Десять минут ! (dix minutes !)" lance leur supérieur. Les dernières photos avec les potes, avec la maman. Les embrassades. Les baisers d'amoureux. 

Les 10 minutes ne sont pas loin d'être écoulées. Les mamans remettent les chapkas en place sur la tête de leurs fils, et c'est parti.

Les larmes coulent sur les joues de ceux qui restent. Les miennes ne sont pas loin.

Et eux, sont-ils si conditionnés par leur masculinité pour réussir à ne pas pleurer ?


Je déplore le fait que ce soit à la vue de militaires, tous hommes, mais ces scènes m'ont remplie d'émotions positives en ce jour teinté de gris.


Quelques podcasts, une vingtaine de pages de Gogol et un pique-nique plus tard, j'entends la voix de la gare annoncer le quai de mon train. Je me lève, remets mon manteau et hisse mon sac sur le dos. 

Sur le quai, je retrouve l'interprète, Александер (Alexander). Je lui demande s'il sait où se situera mon wagon, le n°12. Il me dit qu'on ne peut pas vraiment savoir, que ça peut être au début ou à la fin. En russe, ils ont une blague : on peut avoir deux wagons n°12 pour le même train.

Le nôtre arrive et le wagon n°12 nous passe devant pour s'arrêter plusieurs dizaines de mètres plus loin. Je sais que l'arrêt ici est court, seulement 3 minutes. Je souhaite une bonne nuit à Alexander, et me dépêche d'atteindre mon wagon !


Sur ma couchette, la n°9, je trouve un adolescent allongé. Il comprend vite et me laisse la place. J'ai ensuite pour moi toute seule cet espace de 6 couchettes. Je me croirais dans ces auberges vides de touristes où j'ai souvent le dortoir pour moi également. Je fais le lit et me glisse dans les draps. Les ados d'à côté parlent fort, rigolent de leurs voix qui déraillent et traînent des pieds dans le couloir. Je mets mes bouchons d'oreilles et trouve rapidement le sommeil.


9h00. Mon réveil sonne. Il n'y a pas de changement d'heure cette fois donc je n'étais plus sûre que la provonitsa viendrait. Je la vois arriver quelques minutes après s'assurer que je suis réveillée. 

J'émerge dans mon compartiment vide, tranquillement.



Lorsque je descends sur le quai, je me rappelle que la veille, on s'y est donné rendez-vous avec Alexander. Je ne suis pas pressée et lui a quelques heures à attendre avant son rendez-vous médical. On prend un café dans la gare en discutant de choses et d'autres. De ses vacances en Crimée avec sa femme et de la suite de mon voyage. De son habitude de faire des blagues lors de son séjour en Chine et de mes quelques questions de vocabulaire russe.


Il ne comprendra pas pourquoi j'insisterai pour marcher jusqu'à mon auberge plutôt que de m'y rendre en bus ou en taxi, mais il me souhaitera malgré tout bon voyage !





Matin brumeux le long de l'Ienisseï, un homme s'y baignait.