Je sors du magasin. J'ai fait quelques courses pour les prochains repas. Je m'apprête à passer 18h dans le train et je n'ai pas oublié de prendre quelques petites choses à partager.



J'entre dans la gare et vois que mon train est déjà à quai. Celui-là est parti de Novosibirsk et se rend à Vladivostok.

Devant le wagon n°14 , il y a un groupe de fumeurs. J'attends à côté d'eux quelques instants. Le provodnik farceur est parmi eux. Il me dit en se moquant gentiment qu'il faudrait que je sorte mon passeport. Je ne l'avais pas remarqué !


Un jeune est sur ma couchette, la n°47. Il reprend ses draps et les installe sur la sienne, juste au dessus. Je m'empresse de remballer le matelas pour transformer la couchette en table, pour l'après-midi. 

Lui, s'assied quelques minutes en face de moi puis rejoint ses copains un peu plus loin.


À côté, il y a un vieux qui regarde des vidéos sur son téléphone. Le volume est au maximum, le genre de chose qui m'agace assez vite. Il n'a pas d'écouteurs ? La vieille qui lit à côté ne semble pas dérangée, elle.


Je vois une dame arriver dans le couloir avec un petit panier de supermarché. Tiens, amusant ! Ah, c'est en fait pour vendre de quoi se restaurer à bord du train. "Пирожки ! (Pirojki !)", dit-elle. Ce sont des beignets fourrés de viande, de pomme de terre ou de chou. Ça ressemble bien à celui que je me suis acheté juste avant et que je viens de terminer.


J'observe le petit garçon d'à côté faire des blagues à son grand-père et des acrobaties dans le couloir. Il doit avoir 4 ans, il m'amuse.


Je soupçonne le provodnik et les deux passagères du bout du wagon d'être allés fumer leurs cigarettes dans l'entre wagon.


Des dames repassent proposant toujours de la nourriture, dans un panier ou sur un plateau. On ne nous laisse pas mourir de faim !


Certains passagers installent leur couchette et se glissent sous les draps. Chacun suit son propre rythme à bord du train.


Moi, j'écoute la B.O. du film Leto, en grignotant des graines de tournesol. Et entre deux morceaux, j'entends ce bruit régulier, devenu familier : quelqu'un d'autre picore non loin derrière moi. L'entre-ouverture de la coquille avec les dents puis l'ouverture franche avec les doigts et la récupération de la graine pour la croquer. Elle est si vite terminée qu'il faut déjà recommencer. Ça tombe bien, on a tout notre temps pour recommencer.


La dame repasse avec, cette fois, des cuisses de poulet sur son plateau.

Les trois fumeurs en profitent avant qu'elle ne repasse dans l'autre sens.


Les coquilles vides des graines que j'ai mangées forment un petit tas sur la table. Je fais une pause et sors le Lonely Planet, je l'ouvre aux pages qui décrivent ce trajet entre Krasnoyarsk et Irkoutsk. J'apprends que je franchirai la moitié de la ligne du Transsibérien dans la soirée, au kilomètre 4644. Quelques centaines de kilomètres plus loin, le train traversera la gare de Половина (Polovina, moitié), ce qu'elle marquait au début du XXe siècle avant de multiples remaniements de la ligne.



Je feuillette ensuite les quelques pages sur Irkoutsk : quelle est son histoire ? où peut-on profiter de beaux points de vue ? quels parcs peuvent offrir une agréable balade ? dans quel petit café, dans quelle petite cantine peut-on manger local pour quelques centaines de roubles seulement ? que nous offrent les alentours une fois qu'on sort de la ville ?


J'entends déjà des ronflements. Mais ils sont soudain couverts par les voix des mes deux voisins, voilà qu'ils sont au téléphone en même temps ! Ça gueule, ça change du calme habituel.


Le train marque un arrêt plus long, les gens sortent en gros manteaux et claquettes. On entend les bruits assourdissants des coups frappés sous le wagon, ce sont les ouvriers qui vérifient l'état du train.


Puis, arrive ce moment. Il vient tôt ou tard, et c'est toujours assez amusant de voir la réaction des gens. On s'adresse à moi en russe et je réponds "Я не понимаю по-русски (je ne comprends pas le russe)". Et là les questions fusent. D'où viens-tu ? Où vas-tu ? Les premières questions de Владимир (Vladimir), j'y réponds en russe. Ensuite, j'ai besoin de l'aide de Владимир (Vladimir), un autre, celui qui parle un tout petit peu anglais. Ils sont avec Андрей (Andreï). Ils habitent à Krasnoyarsk et vont travailler pour un mois sur un chantier à Irkoutsk. 

Tu es toute seule ? Tu n'as pas peur ? Pourquoi la Russie ? Tu vas où après ?

Tu es Catholique ? Non ? Communiste !

C'est Andreï qui me lance ça en rigolant, il m'offre ensuite deux petits chocolats. Je deviens le sujet d'attention. Les voisins écoutent avec curiosité.


Vladimir m'offre une tranche de saucisson et une autre de concombre. Il me fait goûter une limonade, fabriquée non loin d'ici. On me questionne sur les spécialités russes que j'aime manger. Parmi d'autres, je cite les сырникы (cyrniki), ces petits beignets de fromage frais. Andreï en sort aussitôt de son sac, cuisinés par sa femme. Un régal ! Je prépare des toasts, coupe des bâtonnets de carottes. Mais ce n'est pas le moment de manger pour eux. J'aurais essayé !


Le train s'arrête quelques minutes à Taïchet, Vladimir m'indique que l'on change ici de fuseau horaire. C'est aussi là que se fait la jonction entre le Transsibérien et le BAM (la grande ligne Baïkal-Amour, qui file vers le nord du lac Baïkal). 


Les voisins discutent, le grand-père épluche des graines pour son petit-fils. Le provodnik a revêtu sa blouse bleue et passe la serpillère dans le couloir.

Vladimir a l'air fatigué de traduire, et je suis aussi fatiguée d'essayer de comprendre le russe. Il est temps d'installer ma couchette, je me glisse sous les draps et lis quelques pages du Portrait, de Gogol.


Je suis réveillée par les voix de mes voisins. Il est 3h25 à ma montre de Moscou, donc 8h25 heure locale. Le train doit arriver dans 3 minutes à Irkoutsk. Vite, je me rhabille, je passe aux toilettes. Je m'installe et j'attends. On s'arrête, mais ça ne semble pas être Irkoutsk, plutôt un petit village. Je comprends que le train a du retard. Vladimir me parle de 2 heures, peut-être moins. C'est dû à la neige tombée dans la nuit.


J'ai donc tout le temps de prendre un petit-déjeuner digne de ce nom, tranquillement.

Une dame repasse avec des pirojki, à la pomme cette fois. Des voisins attaquent la journée à la cuisse de poulet, d'autres aux nouilles instantanées.


Il est 10h, nous arrivons à Irkoutsk et je n'ai jamais été si proche du lac Baïkal !